Le papa suisse de Siri

Dis-moi Siri, qui t’a inventé?

À cette question, l’assistant vocal répond qu’il a été conçu par Apple, en Californie. Même qu’il a fait ses premiers pas comme larbin vocal il y a bientôt dix ans. Ce que l’assistant, pourtant intelligent, ne dit pas, c’est que son papa est Suisse et qu’il s’appelle Didier Guzzoni.

Aujourd’hui âgé de cinquante ans, ce Vaudois d’adoption, marié, père de deux enfants a grandi dans la campagne genevoise. « J’ai aussi de la famille dans le canton de Fribourg! », précise celui qui se qualifie d’emblée de geek. « J’ai toujours été un geek. Dès l’âge de dix ans, j’ai voulu programmer des ordinateurs », résume-t-il en ajoutant avoir toujours été « celui avec des lunettes » qui aimait bien les mathématiques mais aussi acheter des calculatrices et des ordinateurs. « J’ai eu un prof de maths au CO qui était versé dans ce domaine et qui me donnait des challenges de programmation », raconte-t-il en ajoutant être allé remercier, il y a deux ans, ledit enseignant.

Trente ans et quelques poussières plus tard, les ordinateurs, tout comme les lunettes de Didier Guzzoni, ont bien évolué. Mais l’enthousiasme juvénile est intact. « Je me sens plus que jamais geek sauf que quand je raconte ce que je fais aujourd’hui, les gens comprennent », poursuit-il en glissant quelques anecdotes. « Un de mes premiers ordinateurs, c’était un Commodore 64. J’avais travaillé tout un été pour me l’offrir. Ma fille a dû, un jour, amener quelque chose d’ancien à l’école. Ses copains ont amené des fossiles ou des vieilles montres alors qu’elle a apporté cet ordinateur. » Remonter le temps en sa compagnie est un pur régal. Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, ni même envisager. Celui des premiers navigateurs et des premiers pas sur internet.

Échecs et Lego

Cette passion pour l’informatique, Didier Guzzoni ne sait pas vraiment d’où elle vient. Dans tous les cas pas de son univers familial. Papa était comptable et maman assistante de conseiller d’État. Il réfléchit une fraction de seconde et, avec la rapidité qui caractérise les êtres vifs d’esprit, tente une explication. « J’ai toujours aimé jouer aux échecs et aux Lego. Peut-être est-ce une combinaison des deux. J’ai encore aujourd’hui, lorsque je me mets devant mon ordinateur, la même excitation que quand j’avais six ans et que j’étais devant mon sac de Lego. »

Être créatif dans le domaine technique, c’est le moteur de celui qui intègre, une fois l’école obligatoire terminée, une école d’ingénieurs à Genève. Sauf qu’il n’y avait pas de section informatique à l’époque. Il choisit la filière « électricité orientation informatique ». Cinq ans plus tard, il termine sa formation. Il frôle la vingtaine et part à l’armée durant quatre mois. « À mon retour, je voulais travailler mais ma mère m’a presque inscrit contre mon gré à l’EPFL. Je lui suis reconnaissant. »

Le voilà donc à l’École polytechnique fédérale de Lausanne où, là encore, l’informatique n’a pas de section. Il se retrouve avec des physiciens et des « matheux » durant les deux premières années. « Je suis passé à la raclette car les cours étaient très théoriques et n’entraient pas dans mon schéma d’ingénieur très technique. » En troisième année, il rejoint enfin la section informatique fraîchement créée. « Je me suis éclaté durant ces trois années! Je faisais ce que j’aimais, de la technologie appliquée et j’ai rencontré des gens incroyables comme le professeur Nicoud. Un des précurseurs de l’informatique, il est d’ailleurs célébré dans la Silicon Valley où il existe un musée de la technologie. »

Direction les USA

Guidé par l’envie de mener à bien divers projets pratiques, Didier Guzzoni s’en va guigner du côté du département de microtechnique de l’EPFL, où les informaticiens étaient alors convoités afin de développer des robots naissants. C’est là qu’il rencontre Charles Baur, responsable d’un laboratoire qui avait des liens avec les États-Unis. « Il m’a proposé d’aller faire mon travail de diplôme aux États-Unis », résume-t-il. C’était en 1995. Au SRI (Stanford Research Institute), au cœur de la Silicon Valley. Il œuvre dans un laboratoire consacré à l’intelligence artificielle, où il est chargé de développer un robot. Puis, il travaille sur des programmes d’interfaces multimodaux permettant d’interagir avec un robot.

L’expérience californienne terminée, il rentre en Suisse avec un carnet d’adresses joliment garni avant de repasser par la case Nouveau Monde pour participer à un concours de robots. Qu’il gagne, of course! Ce qui lui vaut d’être engagé par le centre de recherche SRI pour travailler sur des systèmes d’intelligence artificielle. Il y reste deux ans. Le temps de rencontrer « une légende absolue », Douglas Engelbart qui, à la fin des années 1960, a inventé la souris. « Le premier message envoyé sur internet, c’est lui. C’est très impressionnant d’avoir pu rencontrer des gens comme ça! » Il travaille ensuite pour une start-up où il fait la connaissance de sa future épouse, d’origine japonaise.

Un cocon qui endort

La bulle internet ayant éclaté, il doit faire face à un choix: rester ou partir. « J’arrivais à la trentaine et, avec mon épouse, nous venons tous les deux de pays où il y a des saisons et qui ont d’autres valeurs que celles du travail et des grosses voitures. Nous voulions retrouver la pulsation du monde. La Silicon Valley, c’est sympa mais c’est une sorte de cocon qui endort le cerveau. » De retour en Suisse, il commence une thèse de doctorat à l’EPFL, codirigée par le SRI et qui débouche sur ce brave Siri. Qui n’était encore pas officiellement né. Il fallait que ce système séduise un dénicheur de projets novateurs pour que la machine s’emballe. C’est ainsi qu’il crée la société Siri, du nom d’une petite fée norvégienne qui amène ses soldats au succès. Mythique!

« Hi, c’est Steve! »

Après dix-huit mois de gestation entre la Suisse et la Californie, Siri voit le jour. L’application sort en 2010. Quelques semaines plus tard, elle affichait déjà un million d’utilisateurs, principalement aux États-Unis. Et ce qui arriva, arriva. « Hi, c’est Steve, est-ce que tu viens manger chez moi ce soir? » Notre responsable a reçu cet appel de Steve Jobs. « C’est comme ça que, du jour au lendemain, nous sommes passés d’une poignée d’employés à beaucoup! » Siri, racheté par le patron d’Apple, est officiellement disponible sur tous les iPhone 4S dix-huit mois plus tard. Une grosse satisfaction pour son papa, dont le but de la thèse de doctorat était de sortir l’intelligence artificielle des laboratoires afin qu’elle serve au commun des mortels.

« Dis, Siri, est-ce que ton papa est riche? »

Vif d’esprit mais aussi modeste et discret, ce dernier répond que « non, quand même », et esquive en disant « qu’il est de toute façon difficile d’être riche en Suisse! » Et aujourd’hui? « Je continue à faire de la recherche et du développement pour Apple, ce qui me permet d’être créatif. »

Source: Le Nouvelliste